Affichage des articles dont le libellé est Agamben Giorgio. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Agamben Giorgio. Afficher tous les articles

Enchantement

Ce qu'il nous est donné d'atteindre à travers nos mérites et nos efforts ne peut nous rendre véritablement heureux. Seule la magie en est capable. [...] La magie signifie précisément que personne ne saurait être digne du bonheur, que le bonheur, comme le savaient bien les Anciens, est toujours un hybris si on le rapporte à l'homme, qu'il est toujours démesure et excès. Mais si quelqu'un parvient à plier la fortune par la ruse, et si le bonheur dépend non de ce qu'il est mais d'une noix enchantée ou d'un "sésame-ouvre-toi", alors et alors seulement, il peut se dire vraiment heureux. [...] Qui connaît par enchantement la jouissance échappe à l'hybris implicite dans la conscience du bonheur, parce qu'en un certain sens, ce bonheur qu'il sait posséder ne lui appartient pas. Et ainsi lorsque Zeus s'unit à la belle Alcmène en prenant les traits d'Amphitryon, ce n'est pas en tant que Zeus qu'il jouit d'elle. Et ce n'est pas non plus, en dépit des apparences, en tant qu'Amphitryon. Sa joie est tout entière dans l'enchantement et on ne peut jouir consciemment et pleinement que de ce qu'on a obtenu par les chemins de traverse de la magie. Seul celui qui est enchanté peut dire moi et le seul bonheur que nous méritons vraiment est celui que nous ne saurions rêver de mériter jamais.


Giorgio Agamben. extrait de Profanations, © 2005, Nottetempo. © Payot & Rivages pour la traduction


Bonheur et Magie. La valorisation de chacun de ces deux termes est en soi, déjà, véritable profanation. (De profanations, l'ouvrage magnifique de Giorgio Agamben en soulève à chaque détour de page. Ce que ce grand penseur a peut-être de plus extraordinaire, c'est d'être aussi un profane, un poète.)
Bonheur, parce que le bonheur est le dernier souci des intellectuels, des historiens, des littérateurs. Aucun intérêt. Comme le dernier petit truc qui n'a pas voulu tomber de la jarre de Pandora, c'est pourtant à l'évidence la pièce maîtresse du monde inversé – décrété inaccessible, de peur d'avoir à s'en contenter ! La psychanalyse peut jouer ce déblaiement jusqu'à cette plume légère qui est une trouée de ciel.
Magie parce que rien n'est plus risible pour l'esprit scientifique que la pensée magique. Tout aussi ridicule que la génération spontanée pour les héritiers de Lavoisier et de Pasteur. Mais ne nous vient-il pas à l'idée qu'en dehors du territoire du raisonnement et de la pensée – en dehors de ce royaume et de ses rois – il y a une scène du monde où tout ne saurait être que magie sans mages et qu'il peut y faire bon, très bon même. Ainsi parfois, sur le divan de l'analysant, lorsque les mots se défont.

Le goût de l'origine

Je suis né dans un lit

Je suis né dans un lit
d'amour ensemencé
dans le terrain fécond
d'une union mémorable
dans le froufrou de draps
complices d'un grand plaisir

Je suis né dans un lit
qui de joie a craqué
toute une nuit
comme un feu d'artifice
présageant mon avenir
sous-produit de frissons délirants
qui font toucher les fonds
qui font monter aux cieux

Jean Saint-Vil
le 18 avril 2011

Genius

Les Latins nommaient Genius le dieu auquel chaque homme se trouve confié au moment de sa naissance. L'étymologie est transparente et reste encore visible dans la proximité de génie et d'engendrer. Que Genius ait eu quelque chose à voir avec engendrer apparaît d'ailleurs évident si l'on pense que pour les Latins l'objet "génial" par excellence était le lit : genialis lectus, parce que c'est là que s'accomplit l'acte de la génération. De là que le jour de la naissance était consacré à Genius ; c'est pourquoi nous le nommons encore généthliaque. Malgré l'odieuse ritournelle anglo-saxonne, désormais inévitable, les cadeaux et les banquets avec lesquels nous célébrons les anniversaires constituent un souvenir de la fête et des sacrifices que les familles romaines offraient au Genius le jour de la naissance de l'un de leurs membres. Horace évoque le vin pur, le cochon de lait de deux mois, l'agneau "immolé", c'est à dire arrosé de la sauce du sacrifice ; mais il semble qu'à l'origine il n'y avait que de l'encens, du vin et de délicieuses fougasses au miel parce que Genius, le dieu qui préside à la naissance, n'aimait pas les sacrifices sanglants.

Giorgio Agamben. Profanations, © 2005, Nottetempo. © Payot & Rivages pour la traduction