Dolto, la chair, l'imagination, le sens


Il est des faits, des émotions ou des pensées que nous avons refoulé dans notre inconscient. Ces faits ralentissent ou arrêtent le développement de pans entiers de notre vie psychique à une certaine époque de notre évolution.
Ces événement comportaient alors une telle énergie affective, sans mots ni images pour les traduire, qu'il fallait les refouler dans l'inconscient.
Grâce à ce processus de refoulement dans l'inconscient, petit à petit nous prenons conscience de notre corps. En effet, quand, par exemple, notre mère, au début de notre vie, nous a empêché le vivre de notre désir, qu'elle n'a pas satisfait immédiatement notre envie de téter, ou simplement de la revoir, elle nous a permis de prendre conscience que nous avions un corps séparé du sien, notre corps affamé s'est tendu, nos lèvres ont cherché : nous étions en attente de satisfaire notre besoin de quelque chose ou d'elle.
Ces cris, ces pleurs qui exprimaient aussi l'attente de la satisfaction du désir d'elle, se sont peu à peu mutés en paroles pour traduire de façon fine et différenciée nos divers manques en besoin et pour le désir, souvent le déguiser en besoins que les mères entendent. A défaut de satisfaire à tout coup nos besoins et nos désirs, notre mère et nous, les autres et nous, avons appris à nous parler.
Ces cris, ces pleurs, traductions de notre verbe, ont épaissi notre chair.
Que voulez-vous dire par "épaissi notre chair"?
Je veux dire nous faire exister en image de corps pour nous-mêmes, faire prendre sensible présence à notre chair pour la perception que nous en avons en des lieux précis de notre corps chose, lieux qui étaient tendus de besoins ou de désirs et qui pouvaient être ou ne pas être satisfaits. Ces lieux de besoins, de désirs, nous les crions d'abord, puis les parlons. Ainsi notre corps devient symbolique, langage exprimé.
Je pense donc que notre chair, c'est l'épaississement du verbe qui n'est pas arrivé à s'exprimer au niveau où il avait à s'exprimer ni au moment où il avait à s'exprimer.
Pour vous, qu'est-ce que le verbe ?
Le verbe c'est pour moi le mouvement, l'élan originel de chacun. Comme, dans une phrase, le verbe est le moteur, ainsi en nous une source, un griffon, une impulsion nous élancent vers la vie, vers les autres, à leur recherche. Le verbe, je le vis comme l'énergie potentielle à sa source qui est son mouvement d'esprit créateur de sens vivant.

Françoise Dolto. L'Évangile au risque de la psychanalyse 2, © Editions Universitaires, 1977. Points Seuil 1980
Je retiens le mot "image" et je retiens l'idée d'origine de la parole.
Du cri, des pleurs, de l'appel, de la tension, de la souffrance résultant du manque de la satisfaction, le corps va faire quelque chose. C'est ce qu'il ne faudrait jamais oublier : le corps est capable de "s'épaissir" de cela. Et de là lèvera la parole, ce magique, ce merveilleux substitut à la souffrance. Cela dans le meilleur des cas, car le corps peut aussi produire symptômes, maladies, violence, y compris dans le langage lui-même. C'est dans tous les cas la créativité du corps qui s'exprime. Rester humain c'est ne pas pouvoir céder au relativisme, c'est donc imaginer une origine (le "griffon", le verbe) et un sens. Je dis "imaginer", allant ainsi dans le sens de Dolto pour qui la fonction imaginante est très importante, rejoignant au passage Edouard Glissant par exemple, et même Jacques Lacan pour qui, dans la théorie, l'invention était sans doute plus importante que le dogme.



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