Nuages


Je suis allée chercher mon tricot de laine et le chevreau m'a suivie
le gris
il ne se méfie pas comme le grand
il est encore trop petit
Elle était toute petite aussi
mais quelque chose en elle parlait déjà vieux comme le monde
Déjà
elle savait des choses atroces
par exemple
qu'il faut se méfier
Et elle regardait le chevreau et le chevreau la regardait
et elle avait envie de pleurer
Il est comme moi
dit-elle
un peu triste et un peu gai
Et puis elle eut un grand sourire
et la pluie se mit à tomber

Jacques Prévert. La pluie et le beau temps. Gallimard, 1955.


Les poètes tricotent le ciel. Comme les enfants qui jouent. "Le temps est un enfant qui joue". Cela aussi est vieux comme le monde.
Etre poète, c'est se passer d'images. C'est être passeur d'images par sa simple parole. Faire voir ce qui ne se voit pas.

3 commentaires:

Marie-F a dit…

MERCI pour ce poème de PREVERT qui parle de l'enfance, loin des stéréotypes, des mythes sur une prétendue innocence des enfants par ex ..."elle savait des choses atroces" et plus loin, propos plus nuancés : "comme moi ,un peu triste, un peu gai"... Particulièrement juste !!! Nos souvenirs le confirment et la clinique de soins avec les jeunes enfants aussi ! Ton bref commentaire est simple et magnifique ! Tu es un véritable passeur d'images ! Avec un coté "petit prince", sur une drôle de planète : "l'essentiel est invisible aux yeux, on ne voit bien qu'avec le cœur"... Faire voir ce qui ne se voit pas ; formidable et d'utilité publique sinon le monde court à sa perte ! Rare ceux qui y arrivent vraiment.

faradet a dit…

J'aime beaucoup Prévert.
Bonne soirée.
.

René Chabriere a dit…

toujours très "frais"....