Michel Ollier

Il est arrivé le jour de rien. Comme un vent d'autan. Je l'ai revu ce soir celui que j'avais oublié. Le monstre froid au regard de braise. Le meurtrier du crépuscule, l'assassin de mes nuits. Le ténébreux.
Devant moi la route déroulait son long ruban d'ébène. Vers où me conduisait-elle ? vers quel horizon ? dans quel gouffre ? A quoi rimait donc ce voyage sans but, cette histoire sans fin ?
Vertige de l'aurore. Sourire d'une enfant perdue au bord d'une route oubliée. Le vent soulevait ses fins cheveux de brume. Plus rien n'existait qu'un sombre désir habillé de moire - rêve impudique - coloré de sang et d'or sur l'épouvante enfouie dans un songe sans fin. Miasme d'éternité.
Ainsi se cache en plein jour le ténébreux qui s'abrite au fond de moi - au fond de toi aussi - dans le bestiaire de nos fantasmes.
Nous sommes tous les meurtriers de nous-mêmes et de l'autre qui nous habite.
Dehors plus rien ne bouge. La nuit recouvre l'espace de mes songes ensanglantés. Tout se dissout. Le brouillard étend son manteau de bure sur la neige salie.
J'aurais tant voulu revoir le pays d'où je viens, les vertes frondaisons, les rives claires d'un ruisseau chantant où baignent les illusions d'une amitié aussi douce que ton regard.
Quelque part une enfant est née. Espoir. Rêve - couleur d'arc-en-ciel. La pluie peut enfin déverser son flot nourricier sur une terre assoiffée.

in mot à mot. © Gaspard Nocturne, 2009.



"Satan expulse Satan", note René Girard dans Je vois Satan tomber comme l'éclair (Grasset).
Quelque chose d'aussi fulgurant semble se passer dans ce texte – parti de rien.
Où il n'y a rien, il y a encore quelque chose. Il subsiste – ou il revient – quelque chose. Comme dans le sommeil, alors que nous avons abandonné toute activité, toute présence au monde semble-t-il, les rêves.
Quelque chose apparaît pour disparaître.
Cela fait resurgir à ma mémoire un étonnant événement : au cours d'une lecture publique, alors que je débutais dans la profession freudienne, je me trouvais à la même table que mon analyste. Ce dernier, soudain, à la suite d'un texte dont nous venions d'écouter la lecture, pose la question : le rêve, il fait ou il défait ? Immédiatement on entendit se superposer dans un désaccord aussi parfait que spontané ma réponse et la sienne : il fait ! / il défait ! Aussi étrange que drôle cet éclat fit rire l'auditoire. Mais nous avions, à nous deux, donné la réponse exacte.
Pour Freud, le rêve est accomplissement de souhait. On peut dire aussi que le rêve expulse le rêve. Rêver expulse la part de rêve, c'est-à-dire la part qui souhaite, la part qui manque.
Le manque, c'est aussi le trop, ce dont il faut se débarrasser. Car il crée un vide qui demande toujours à être comblé. C'est le rôle du "ténébreux", comme c'est le rôle de tout fantasme, de combler le vide insupportable du manque, de s'y engouffrer comme le vent d'autan dans la zone de dépression.
Le manque est l'origine de la pensée, de l'imagination, de l'action. Comme aussi du monstre, du meurtrier, de l'assassin. Tout ce qui comble le manque, le constitue, le remplace... doit être à nouveau défait pour qu'il advienne de nouveau. La page d'écriture comme le rêve est un lieu innocent où tout se fait et se défait.

1 commentaire:

Marie-F a dit…

un des textes de MICHEL que je préfère ! Très juste ce que tu dis sur le manque ! et de l'humour ...Et pas sans lien avec MARCO que je termine ...écriture précise ,simple ,concise et poétique (pour l'ensemble des textes lus, avec encore plus d'intérêt depuis que je mets un visage sur l'auteur )
Merci pour ces lectures diverses et qui me touchent toujours !