Si je ne peux accorder crédit à ce deus ex machina qui fait trop opportunément se rencontrer ou se manquer les personnages d'un récit, en revanche il m'apparaît tout à fait crédible, parce que dans l'ordre sensible des choses, que Proust soit soudain transporté de la cour de l'hôtel des Guermantes sur le parvis de Saint-Marc à Venise par la sensation de deux pavés inégaux sous son pied, crédible aussi que Molly Bloom soit entraînée dans des rêveries érotiques par l'évocation des fruits juteux qu'elle se propose d'acheter le lendemain au marché, crédible encore que le malheureux Benjy de Faulkner hurle de souffrance lorsqu'il entend les joueurs de golf crier le mot « caddie », et tout cela parce qu'entre ces choses, ces réminiscences, ces sensations, existe une évidente communauté de qualités, autrement dit une certaine harmonie qui, dans ces exemples, est le fait d'associations, d'assonances, mais peut aussi résulter, comme en peinture ou en musique, de contrastes, d'oppositions ou de dissonances.
> Extrait du discours de Stockholm, 1985.
C'est ici que l'art prend le relais de la psychanalyse. Dans certains cas cela se passe ainsi, d'autres fois c'est l'inverse. Pour ce qui me concerne c'est l'art – la poésie, le théâtre – qui m'a ouvert la voie de l'analyse.
Freud et Lacan, tout comme Proust, Faulkner et Joyce, nous apprennent que chacun d'entre nous est l'être d'un langage, sensible à ses mystères, à ses fragilités, à ses violences. La psychanalyse nous apprend aussi qu'à notre horizon humain tout est langage. Au-delà du propos de Françoise Dolto exhortant à écouter l'enfant, c'est le monde existant tout entier qui est structuré par le langage. Le travailler, c'est travailler le monde.
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